LIGNE CLAIRE INFO a publié hier cet entretien très intéressant d'Olivier Berlion à l'occasion de la sortie imminente d'Agata.
Interview : Olivier Berlion sur les traces de Lucky Luciano avec une nouvelle série, Agata
Olivier Berlion est un auteur qui sait varier les plaisirs qu’il apporte à ses lecteurs. Alors que se termine la machiavélique série L’Art du crime qu’il a co-scénarisé avec Marc Omeyer, il sort le premier tome d’Agata (Glénat), un polar dont les héros sont le gangster Lucky Luciano et une jeune polonaise qui vient d’immigrer aux USA. Les années trente, la maffia, la montée en puissance de Luciano dans une Amérique qui, après la Récession, va connaître le New Deal de Roosevelt, Berlion a mis en scène une série à grand spectacle dans la lignée de films comme Il était une fois en Amérique. Un travail soigné, bourré d’actions avec toujours ce trait qui a fait son succès, Berlion s’impose une fois encore. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Olivier Berlion, on avait évoqué déjà ce travail sur Lucky Luciano lors d’une rencontre à la Comédie du Livre à Montpellier. Pourquoi ce choix, celui d’un personnage assez atypique ?
Au départ, je voulais faire un scénario sur les années 30. Sur la Prohibition et j’étais parti sur l’histoire d’une femme, Agata. Cela avançait moyennement. A un moment j’ai envisagé de lui faire croiser la route de Luciano.
Non, c’était une femme qui menait sa vie, s’émancipait, immigrait pour une question d’avortement passible de prison à l’époque en Pologne. Ce qui est revenu aujourd’hui d’ailleurs. Les femmes étaient emprisonnées, patientes ou avorteuses. Agata finissait aux USA et elle rencontrait Luciano. Je ne savais pas trop quoi encore lui donner comme destin. Ce qui a été le déclic, en lisant la biographie de Luciano, c’est qu’il disait que s’il avait « réussi » dans les affaires, c’est qu’il ne s’était jamais laissé freiner par une relation amoureuse. En 36, il prend trente ans de prison et je me suis dit qu’il avait quand même rencontré avant au moins une femme à laquelle il aurait pu s’attacher.
Mais pour cela, il fallait passer par des chemins tortueux. Il y a comme base l’aventure mafieuse de Luciano. Vous avez romancé ou pas ?
Non tout est vrai pour Luciano. Il y a deux destinées parallèles qui se croisent. Elles sont à l’opposée. Alors que va-t-il se passer ?
Combien d’albums au total ? Le premier est costaud.
Quatre albums et 74 pages pour le premier.
On est dans les années trente, les grandes vagues d’immigration venues d’Europe, la Récession, la Maffia, et Lucky Luciano qui prend son envol. Pourquoi le surnom de Lucky ?
C’est un peu long en fait. Il est passé plusieurs fois près de la mort en particulier dans l’épisode que je raconte dans l’album avec Maranzano qui le torture et l’épargne. Il le dit dans ses mémoires mais personne ne le savait. Il est revenu vivant d’une balade avec ses ennemis mortels. Ce qui est rare. Donc le surnom de Lucky.
C’est un type qui a de la suite dans les idées. Il veut monter son empire, jouer la carte politique.
Je le prends à mi-chemin. Luciano a démarré au début des années 20. Il rentre au service de gros mafieux. Il y a deux parrains à New-York, Maranzano et Masséria. La guerre va durer trois ans et ça se finit par des règlements de compte que Luciano suscite. Dont la mort de Masséria pour lequel il travaille. Luciano travaille avec tout le monde et les histoires de maffia le fatigue. Il juge le coincent dépassé.
La documentation existe ou c’est un problème ?
Non, c’est assez facile. Il y a les mémoires de Luciano parues au milieu des années 70. Cela a été une bombe. Après il faut les prendre avec réserve car si on l’écoute c’est un saint. Mais la documentation fiable existe bien sûr.
Pas trop. J’essaye de respecter la vérité historique comme avec Dutch, un mafieux irrespectueux que l’on voit dans le tome 1. Dustin Hoffman l’a joué.
On découvre aussi la rébellion des cimentiers polonais de New-York contre la maffia.
C’est une histoire que j’ai lu dans un bouquin. Luciano comprend quand la Prohibition va s’arrêter qu’il faut se diversifier. Donc il se met dans le légal mais avec des méthodes de mafieux. On devait construire la digue du New Jersey et le transport du ciment se pose. Mais une entreprise polonaise a refusé de se laisser racketter. C’est ce qui m’a permis de raccorder les fils avec Agata. Ils ont enlevé le fils du patron qui s’est couché devant les truands.
Oui, c’est ça.
Les influences cinématographiques ?
Il était une fois en Amérique, Cotton Club, des séries bien sûr.
Votre travail est traditionnel, l’écriture totale dès le départ, la couleur directe ?
Tout à fait, je travaille totalement en traditionnel. En fait j’avais écrit cette histoire que je n’aurais pas dû dessiner. Et puis ça ne s’est pas fait et j’ai repris le flambeau. Ce qui m’a frappé le plus c’est le politique et la maffia qui sont main dans la main. Cela remonte loin avec truquage des élections ou autre. Pour la couleur, j’ai changé et travaillé aux encres acryliques. Tout a été dessiné en noir et blanc. J’ai mis longtemps et recommencé les trente premières pages. Le prochain paraîtra dans un peu plus d’un an.
Agata, c’est une histoire d’amour ou un polar ?
Non, c’est une rencontre et un destin. On découvrira son passé. C’était pour moi l’occasion de raconter comment une femme sort du carcan patriarcal et va vivre pleinement.
Revenons sur L’Art du crime dont c’est la clôture. On va tout savoir ?
Oui, j’espère. Donc avec Marc on a tout réécrit cet été. Après il vaudra mieux avoir lu tous les albums depuis le début. Quand on est auteur il y a des évidences mais le plus dur en BD c’est que des informations non formalisées soient saisies par le lecteur. Que le texte ne cache pas une info importante.
Comment a marché la série ?
Moyennement mais je ne sais pas pourquoi. Je dirais que les gens ont été perdus par le double enjeu. Un peu long ? Le tome 1 était assez complexe.
Tony Corso rien de plus ?
Non. C’est arrêté.
Et sinon quoi d’autre ?
J’ai autre chose mais je ne peux en dire plus. Ce serait dans la lignée de Agata mais cette fois autour de la French Connection. Je le dessinerai seulement.